Enseigner sous le soleil de Saint-Barth’ avec Soïzic

Enseigner sous le soleil de Saint-Barth’ avec Soïzic

Aujourd’hui nous partons sous le soleil de Saint Barthélémy pour faire la rencontre de Soïzic, jeune professeure des écoles en CE2 / CM1 et maman d’une petite fille de 5 ans. Après avoir beaucoup voyagé, cette baroudeuse multicasquettes a posé ses valises il y a 12 ans sur cette petite île des Antilles française où elle est devenue institutrice en Juin 2018.

Vous voulez demander votre mutation en Outre-Mer ? Pour vous les plages de sable blanc et le soleil c’est le rêve ? Alors, cet entretien vous sera sans doute utile. Si Soïzic n’a jamais enseigné en métropole, son expérience est malgré tout très intéressante car elle nous pousse à comprendre qu’un départ au Soleil pour St-Barth’ (ou ailleurs) ne se prend pas à la légère et qu’avant de choisir de partir il faut bien peser tous les éléments (coût de la vie, isolation, etc…). C’est parti, direction St-Barth !

L’école d’ailleurs : Bonjour Soïzic ! Nous sommes ravis de t’accueillir aujourd’hui à l’école d’ailleurs =)

Le départ au Soleil

Les plages de Saint-Barthélémy

Alors, dis nous tout, comment et quand as-tu eu envie de départ ?

Soïzic : Alors, j’avais 24 ans, j’étais en train de terminer mes études en art du spectacle à Tours et puis j’ai rencontré quelqu’un qui voyageait beaucoup et faisait les saisons en restauration et du coup je l’ai suivi. J’ai fait les saisons pour mettre de l’argent de côté et ensuite on a voyagé. Et puis j’ai posé mes valise à Saint-Barthélémy il y a 12 ans.

L’Arrivée à St-Barth’, une nouvelle vie

St-Barthélémy sur une carte du Monde

Et il y a 12 ans, à ton arrivée, comment tu t’es adaptée sur l’île ? Ca n’a pas été trop dur ?

Alors, c’est une île donc c’est chargé énergétiquement parlant et on enchaîne un petit peu les catastrophes lorsqu’on arrive. C’est assez étrange. Le jour où je suis arrivée, il y a eu un cyclone et puis après j’ai enchaîné les pannes de véhicule, je me suis faite piquer par un scorpion… Il y a des choses qu’on ne peut pas contrôler, notamment le climat et les bestioles, et ça… il faut s’y faire.

Qu’est ce qui t’a le plus marquée lorsque tu es arrivée là bas ?

C’est qu’on a la chance de pouvoir faire un peu tout ce qu’on veut. Il y a du travail pour tout le monde. On nous laisse notre chance et tant qu’on est motivé on peut faire ce qu’on veut. Moi par exemple, j’étais en restauration, ensuite j’ai fait de la vente, j’ai monté des spectacles de clown, je faisais les anniversaires pour les enfants… J’ai fait vraiment plein de choses au niveau professionnel

Après, ce qui est compliqué c’est qu’on a aucune sécurité matérielle. Du jour au lendemain tu peux perdre ton logement (à cause des ouragans et autres aléas climatiques). En plus, les logements coûtent horriblement cher, bien plus cher qu’à Paris ! Du coup on a une pénurie de logements qui est assez hallucinante. Moi j’en suis à mon 16ème déménagement en 12 ans !

Instit’ au Soleil, le rêve ?

Et comment on passe de serveuse à instit’ ? Comment s’est passée ta candidature ?

Alors, il fallait une maîtresse pour un mois en petite section et une amie qui travaillait à l’école m’a proposé le poste. Moi j’avais jamais fait ça de ma vie… Mais à partir du moment où tu as une licence, tu peux être contractuelle et faire des remplacements. En l’espace de 48 heures je me suis retrouvée maîtresse.

Donc j’ai fait le mois de Juin 2018 et comme je me suis sentie vraiment à ma place, je me suis renseignée pour passer le concours.

Et justement, le concours comment ça se passe quand on est isolés comme vous l’êtes ?

C’est compliqué. Il fallait que je sois inscrite en master, sauf que sur une petite île de 21 km2 où les études s’arrêtent à la troisième… Finalement, j’ai trouvé un organisme en Guadeloupe (l’IFAGEC) qui propose des masters à distance pour toutes les Antilles-Guyane. Donc je me suis inscrite et j’ai passé deux ans à valider mon master. En parallèle j’ai passé le concours sur l’Académie de la Guadeloupe donc il a fallu que j’aille passer les écrits sur l’île d’à côté puis les oraux en Guadeloupe et j’ai été prise. Ensuite, j’ai été stagiaire pendant un an en CP et là, je viens d’être titularisée donc j’ai ma classe pour de vrai =D

Et ta nouvelle vie de maîtresse ça s’est passé comment ? Tu as eu des problèmes lors de ta prise de poste ?

Bah en fait ça faisait déjà dix ans que j’étais sur l’île et j’étais connue sous différentes casquettes donc quand les parents m’ont vue ouvrir la porte de l’école ils se sont dit “ah elle est maîtresse en plus, qu’est ce que c’est que cette histoire ?”. Donc c’est vrai que j’ai eu quelques “difficultés” et il a fallu que je fasse mes preuves en validant le master et le concours.

Et puis aussi, du fait de l’insularité, j’ai bien eu conscience que si je faisais un pas de travers, ça allait tout de suite être su. Du coup, j’ai une certaine image à respecter, surtout que je travaille dans une école catholique privée (mais sous contrat).

Et tu as vite trouvé tes marques en tant que maîtresse ?

Ca a été un peu compliqué parce que j’ai découvert, en reprenant mes études, que j’étais sûrement dyspraxique et sûrement haut potentiel. Du coup, j’avais déjà un gros manque de confiance en moi, de par mon parcours scolaire assez atypique et je me suis demandé si je serais capable d’enseigner à des enfants et de m’organiser. Mais finalement ça va ! =D

Au niveau du salaire comment ça se passe ? Est ce que tu as des primes qui font qu’être prof là bas c’est cool ?

J’ai un salaire qui ne me permet absolument pas de vivre ici. Malgré le fait que j’ai 40 % de plus qu’une instit’ de métropole… Pour te donner une idée je gagne 2 000 € de salaire et j’ai un loyer à 1250 €. Je gagnais mieux ma vie en tant que serveuse…

Ah oui, donc c’est pas tant le rêve que ça !

Le rapport avec les collègues

Et ton arrivée dans l’équipe pédagogique ça s’est passé comment ? Quel est ton rapport avec tes collègues ?

La dessus j’ai vraiment eu de la chance je suis tombée sur une école où il y a une très bonne ambiance, où il y a de l’entraide. Et puis on a vécu le cyclone IRMA qui a rapproché vraiment tous les locaux. On vit  quelque chose de spécial du fait de notre insularité. Donc ça crée une ambiance vraiment solidaire au sein de l’école.

Le rapport avec les élèves

Et le fait que ce soit une petite île isolée, les rapports avec les élèves doivent être complètement différents de ce qu’on peut connaître dans les grandes villes ?

Oui, c’est vrai ! Moi ils me connaissent, je peux être amie avec leurs parents, je peux les voir en dehors de l’école où on a un rapport beaucoup plus amical. Forcément, on va à la plage donc je croise mes élèves à la plage, je vais faire  mes courses, je croise mes élèves. Donc il a fallu, au début, que je leur explique qu’à l’école c’était plus “Salut Soïzic” mais “Bonjour maîtresse”.

Et d’après tes souvenirs d’élève et les discussions que tu as avec tes collègues de métropole, quelle différence il y a entre tes élèves et les leurs ?

Les enfants, en général, ici sont beaucoup plus ouverts et ont une liberté que les enfants en métropole n’ont pas. Nous il fait soleil plus de 300 jours par an, on est très peu couvert donc le rapport au corps est plus facile.

Et puis, ils sont très liés à la nature vu qu’on a une saison cyclonique qui dure six mois de l’année et qu’on est sur une zone à risques sismiques.

Ce sont aussi des enfants qui ont plus de facilité à comprendre la frustration. Du fait qu’on soit dépendant des arrivages au niveau de la nourriture et du matériel. Moi je le vois avec ma fille de 5 ans, quand on fait les courses et qu’il n’y a plus rien au rayon frais, parce que le bateau n’a pas pu arriver, elle ne fait pas de crise. Parce qu’elle sait que c’est comme ça, qu’on vit sur une île et qu’on dépend de plein de facteurs pour être approvisionnés.

Le programme scolaire

Et le programme scolaire là bas, c’est le même qu’en métropole a priori ?

Moi quand je me suis retrouvée maîtresse en petite section j’ai du suivre les programmes de l’éducation nationale oui, parce que j’avais que ça à suivre. Et en début d’année je me suis retrouvée à faire les saisons et là je me suis arraché les cheveux parce qu’ils ne savent pas ce que c’est l’automne, on ne connaît pas les saisons ici. Pareil pour les villes de métropole… C’est très abstrait pour les enfants d’ici.

Donc on pourrait dire que les programmes ne sont pas vraiment adaptés ?

Euh non, il ne le sont pas. Mais après on s’adapte un peu. En mathématiques par exemple ils se servent de problèmes locaux pour illustrer leurs exercices.

Mais même au niveau des exercices de sécurité on est obligés de s’adapter. Alors qu’en métropole ils sont obligés de faire des exercices de sécurité, pour prévenir les cas d’intrusions dans l’école par des méchants, nous on met le doigt vraiment sur les alertes Tsunami ou les tremblements de Terre pour que les enfants sachent réagir si jamais ça arrive.

La pédagogie

Et est-ce qu’il y a des différences pédagogiques avec la métropole ?

Au niveau des méthodes pédagogiques j’ai l’impression qu’il n’y a pas de différences.

Du fait de votre insularité j’imagine que vous avez une plus grande liberté pédagogique. Par exemple, est ce que vous-vous faites souvent inspecter ?

Oui, un peu. On se fait inspecter beaucoup moins souvent. Moi j’aurais dû être inspectée pour que ma titularisation mais ça n’a pas été le cas. J’ai été validée par les rapports de ma maître de stage et de mon formateur.

D’accord. Et les infrastructures à St-Barth’, elles sont comment ?

Nous on est quand même une île riche donc on a pas à se plaindre. On a la climatisation dans notre classe, on a des moustiquaires aux fenêtres, parce qu’on vit aussi avec les maladies tropicales.

On travaille avec énormément d’intervenants, en sport, en anglais. Donc je trouve qu’on a énormément de moyens et de chance dans nos méthodes de travail, on a pas à se plaindre.

L’emploi du temps

Est-ce que vos horaires de cours sont les mêmes qu’en métropole ?

On commence à 8 heures et on finit à 15h30 en raison de la chaleur. Après on a le même nombre d’heures. On a quelques jours feriés en plus du fait qu’on soit dans les Antilles, l’abolition de l’esclavage par exemple.

St-Barth, une île pour la vie ?

Après avoir vécu si longtemps au soleil, est-ce que tu te verrais rentrer en métropole ?

Je sais que je n’aurai pas le choix parce qu’après la 3ème les enfants sont obligés de partir puisqu’il n’y a pas de lycée. Les enfants d’ici grandissent avec ça. Ma fille de 5 ans, elle sait déjà que si on reste elle devra partir après sa 3ème. Donc soit tu as les moyens financiers et tu payes des études à tes enfants, au Canada pour la plupart, sinon en métropole pour les autres. Et pour ceux qui n’ont pas les moyens c’est à Saint Martin ou en Guadeloupe. Et moi je sais que je n’aurai pas les moyens de la faire partir et de rester donc je sais qu’on sera amenées à rentrer en France à un moment.

Et à ton retour en France tu continueras à être prof ?

Oui, oui bien sûr ! J’ai un travail où j’ai pas l’impression de travailler.

Le bilan

D’un point de vue éducatif tu tires quel bilan ? Si tu retournes en France tu voudrais ramener quoi à tes élèves ?

Alors moi je voudrais leur ramener l’ouverture d’esprit, l’ouverture au monde, les différences et l’inclusion. C’est ce que la vie ici t’apprend, parce qu’il y a beaucoup de passage et que tu es amené à côtoyer plein de personnes différentes.

Du haut de tes 12 ans à St-Barth’, qu’est ce que tu pourrais donner comme conseil à ceux qui veulent tenter l’expérience ?

Avant de s’expatrier il faut être vraiment sûr de ses capacités d’adaptation. Je pars du principe que oui j’ai eu une éducation, oui j’ai des valeurs mais qu’avant de s’expatrier il faut bien savoir comment ça fonctionne dans le pays. Il ne faut pas forcément chercher à partir avec tes propres valeurs et ton mode de fonctionnement mais réussir à t’adapter à comment ça se passe sur le terrain.

Là, par exemple, il y a des enseignants qui ont été mutés ici sans trop le vouloir… Ils avaient demandé l’Académie de la Guadeloupe et ils se retrouvent ici sans avoir les moyens de se loger. Donc à la rentrée il y a plusieurs classes qui n’auront pas d’enseignant.

Eh bien, merci beaucoup Soïzic d’avoir pris le temps de nous raconter ton expérience qui, nous en sommes sûrs, sera utile à beaucoup d’enseignants souhaitant obtenir une mutation au soleil.

Vous l’aurez compris, la vie à St-Barthélémy peut être douce comme impitoyable et ce n’est pas fait pour tout un chacun. Mais si vous n’avez pas peur de l’aventure, que vous êtes sûr(e) de pouvoir vous loger et que les scorpions ne vous font pas peur, tentez l’aventure !

La rédaction